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BLOG VOM auteur et biographe pour particuliers
16 juin 2015

18-Le voyage initiatique du héros

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D'un certain point de vue, tous les romans nous parlent du passage de l'innocence à l'expérience.

Le parcours initiatique du héros

Dans son essai Rite Roman Initiation, Simone Vierne s’est livrée à une comparaison des différents rituels initiatiques (bizutages universitaires, cérémonies d’admission des membres d’un club ou d’une confrérie, et rituels chamaniques des peuples « primitifs » déterminant le passage à l’âge adulte). Elle décrit le rituel type comme composé de trois parties :

  1. La préparation (la phase d’attente), où le novice se prépare à recevoir les révélations sacrées.
  2. Le voyage dans un monde de ténèbres, où le novice va perdre conscience, de façon réelle ou simulée. Ce voyage est l’occasion d’éprouver des souffrances (torture physique ou morale du candidat).
  3. La nouvelle naissance. C’est une mort symbolique qui fait suite à la transformation engendrée par la transcendance de la souffrance.

Simone Vierne souligne le parallèle étroit qui existe entre ces rituels et la trame de nombreux contes mythologiques ou celle des œuvres de Jules Vernes par exemple. Mais on peut également voir cette trame comme celle de la vie entière d’un homme, la première phase représentant la jeunesse, la deuxième la vie, et la troisième, la mort.

Tout comme dans les rituels qui appartiennent à notre réalité, le héros d’un roman initiatique passe del’innocence à l’expérience. Ce passage se fait à l’occasion d’une épreuve ou d’une suite d’épreuves qui lui permettent de se métamorphoser.

Voici comment Joseph Campbell définit le parcours du héros mythologique dans Le Héros aux mille visages :

Alors qu’il sort de sa masure ou de son château, le héros mythologique est irrépressiblement attiré par l’aventure. Il rencontre une présence obscure qui garde un passage. Le héros doit vaincre cette présence, ou voler son pouvoir, afin de pénétrer dans le royaume des ténèbres (offrande, charme, ou combat), à moins qu’il ne soit vaincu par son opposant et entre dans le monde des morts (démembrement ou crucifixion). Il progresse alors dans un monde sombre et pourtant très familier, qui le menace parfois (le teste) ou lui offre une aide magique. Lorsqu’il parvient au cœur du monde des ténèbres, il affronte un danger suprême et obtient une récompense : accouplement ou mariage avec la déesse-mère, reconnaissance par le père-créateur (réparation du péché), sa propre déification (apothéose), ou bien – si les forces sont toujours hostiles – vol du trésor (rapt d’une femme, rapt du feu). À travers cette victoire, le héros se transforme (illumination, transfiguration, liberté) et bénéficie d’une expansion de conscience et donc, de son être intime. La dernière épreuve est celle du retour. S’il est béni par les forces du monde des ténèbres, le héros revient comme leur émissaire, sous leur protection. Dans le cas contraire, il doit vaincre de nouveaux obstacles pour s’enfuir. Cette fuite ou ce retour victorieux continuent de le transformer. Au seuil du retour (ou de la résurrection), le héros doit souvent abandonner les pouvoirs sacrés qu’il avait volés ou qui lui avaient été offerts. Le trésor rapporté permet de restaurer l’équilibre du monde.

« Personne ne doit avoir peur de l’inconnu, parce que tout homme est capable de conquérir ce qu’il veut et qui lui est nécessaire. »

Paulo Coelho

Si l’on ne conserve que la partie centrale de cette trame (Le héros affronte un danger suprême et obtient une récompense. À travers cette victoire, il se transforme), on obtient le cœur du roman initiatique.

L’épreuve constitue le sommet de l’intrigue, le point culminant de la tension dramatique. Dans le roman moderne qui se soucie peu de proposer une « morale » au lecteur, l’histoire s’arrête souvent après la récompense qui suit cette épreuve.

En forçant à peine le trait, on peut dire, comme David Lodge dans l’Art de la Fiction, que « tous les romans ont pour sujet essentiel le passage de l’innocence à l’expérience », ce qui revient à dire que tous les romans sont des romans initiatiques. Voici un constat capable de faire frémir les auteurs rêvant d’inventer une forme radicalement nouvelle de fiction. Nombreux sont ceux qui ont tenté de relever le défi, et voilà quelques-unes des voies qu’ils ont explorées :

Les variantes du parcours initiatique
Le héros inoxydable (psychorigide)
« Il n’y a pas d’efforts inutiles, Sisyphe se faisait des muscles. »

Roger Caillois

Tout se passe pour le héros inoxydable comme pour un héros classique : il est soumis à une terrible épreuve dont il parvient à triompher. Sauf que la métamorphose n’a pas lieu : le héros inoxydable reste très exactement le même que celui qu’il était. Il faudra donc qu’il subisse une nouvelle épreuve, dans l’espoir que cette fois sera la bonne… et ainsi de suite.

On reconnaît facilement le mythe de Sisyphe, mais c’est aussi le thème qui s’applique à la quasi-totalité des superhéros. Superforts et inoxydables, ils enchaînent une infinité d’épisodes sans jamais atteindre leur Graal. Pratique pour alimenter une série !

Le héros qui échoue
« Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si vous avez su accepter votre échec. »

Abraham Lincoln

Il faut en passer par une terrible épreuve pour atteindre la métamorphose qui fera du héros un adulte accompli. Mais sortira-t-il toujours vainqueur de cette épreuve ? Eh bien, non ! Dans les tragédies, le héros se vautre lamentablement. L’intrigue repose alors sur la façon dont il encaisse son échec. Si tout se passe bien, il meurt la tête haute et réussit sa métamorphose in extremis avant de mourir. Il devient alors un héros sacrificiel. Mais dans les romans modernes, davantage tentés par le cynisme, le héros se contente d’échouer à 100 % et la morale se résume à quelque chose du genre C’est dur, la vie, quand même !

Le héros qui échoue (et qui n’en meurt pas) est un candidat tout trouvé pour le thème de la rédemption (voir le point suivant).

La rédemption
« Car vivre dans un monde où nul n’est pardonné, où la rédemption est refusée, c’est comme vivre en enfer. »

Milan Kundera

Lorsqu’on met en scène un personnage principal qui approche ou consomme son troisième âge, la quête initiatique symbolisant le passage de l’enfance au monde adulte ne tient plus.

Le thème de la rédemption pose l’hypothèse d’un héros qui a échoué dans les épreuves que la vie lui a opposées. Il est généralement aigri, trimballe des casseroles, et pourrait faire un candidat sérieux au rôle du méchant. Mais son cœur n’est pas tout à fait mort : une petite lueur d’espoir continue d’y brûler, et toute l’histoire va consister à transformer cette lueur en un feu glorieux.

Comme dans le roman initiatique classique, c’est donc bien d’une métamorphose qu’il s’agit, mais plutôt que de « passer de l’innocence à l’expérience », c’est le parcours inverse que le héros va suivre. Ayant échoué jusque-là, il va renaître à l’innocence afin de bénéficier d’une seconde chance.

Le héros fainéant ou fatigué
« Oh ! Faire son voyage de noces tout seul ! »

Jules Renard

Une épreuve initiatique, dites-vous ? Non merci, j’ai pas la tête à ça. À quoi bon devenir adulte, alors que c’est tellement marrant de rester gamin ?

Alors, il ne se maria pas, vécu longuement et très heureux, et n’eut aucun enfant pour lui pourrir l’existence…

Le héros fainéant ou fatigué est un contestataire forcené. Selon l’obsession que l’auteur entretient avec la moralité (car il n’est pas moral de refuser de grandir), il ira vers la rédemption ou sortira vainqueur de son opposition aux règles de la société.

Dans tous les cas, l’intrigue repose sur le combat qu’il est – malgré lui – bien obligé de mener pour parvenir à rester lui-même.

L’épreuve est inutile

Dans le cas de la comédie théâtrale classique (celle de Molière, par exemple), le héros est un tendre jeune homme qui n’a pas deux sous de jugeote. Pour séduire sa belle ou pour obtenir la possibilité de l’épouser, il devra s’en remettre entièrement à son valet qui fera tout le travail à sa place. Nulle épreuve initiatique, donc, mais simplement la chance d’avoir un valet très malin.

 

Les symboliques mises en jeu dans le voyage initiatique

Voici une tentative de psychanalyse des composantes du voyage initiatique.

Les versions modernes du voyage initiatique se polarisent essentiellement sur l’épreuve que le héros affronte au cœur du monde obscur. Mais il est sans doute pertinent de rappeler que les versions mythiques de cette trame mettent en jeux trois catégories d’épreuves, ainsi qu’une « récompense », à l’issue de l’épreuve principale.

1. La première épreuve de passage (vaincre le gardien) se poursuit par les obstacles que rencontre le héros avant d’affronter l’épreuve principale. Cette première catégorie d’épreuves vise à prévenir et à préparer le héros. Il y rencontre des aides (amis, magicien, sorcière, gnome farceur ou animaux protecteurs) et y gagne des armes et des protections (anneau magique, élixir, épée, formule magique, armure, etc.) On peut considérer que cette phase symbolise l’adolescence du héros.

o Le démon qui garde l’entrée du passage symbolise la peur que le héros éprouve devant l’épreuve qui l’attend. C’est pourquoi il s’agit d’une « force obscure » souvent mystérieuse. Ce démon peut également représenter l’interdit, si l’épreuve est de nature immorale ou sexuelle. Mais il arrive également que le gardien du passage soit amical et dote le héros d’un colifichet qui l’aidera dans ses épreuves. On peut alors y voir une figure parentale (père ou mère) qui encourage le jeune homme à devenir adulte.

o Le passage qui mène le héros vers son épreuve majeure est généralement sombre, avec des contours indiscernables (il s’agit d’une grotte ou d’un marais noyé dans la brume). On peut y voir une évocation de la peur du noir, ou celle d’un sexe féminin. Dans ce dernier cas, l’initiation du héros symbolise la découverte de l’acte sexuel, ou bien son parcours est une naissance inversée, un retour vers l’utérus, puisqu’il lui faudra renaître symboliquement à la fin de son épreuve.

o Le monde obscur dans lequel se déroulera la majeure partie du voyage est un monde « différent » dans lequel les règles usuelles ne s’appliquent pas toujours. C’est même parfois un monde « inversé », dans lequel le bien devient le mal et vice versa. Ce monde peut représenter le rêve (Alice au Pays des merveilles, Matrix) ou la folie (chez Jules Vernes, par exemple). Symboliquement, le voyage raconté est donc un voyage intérieur du héros qui se livre à une exploration de son inconscient, de sa nature profonde.

2. L’épreuve principale que le héros affronte le confronte souvent à des figures parentales symboliques : le dragon, le dieu ou le démon symbolise le père, la sorcière et la fée, la mère. Lorsque le héros est confronté à des animaux, ils représentent sa propre nature animale (désir, peur, courage, instincts) qu’il doit vaincre pour accéder à la sagesse, ou qui le soutient dans son épreuve. Lorsqu’il affronte le feu, c’est évidemment à la connaissance qu’il se confronte. Lorsque c’est l’eau, c’est sa nature émotive qu’il tente de maîtriser.

3. La récompense évoque la transformation que le héros est venu chercher dans l’aventure. S’il s’agit d’un objet précieux, c’est la richesse qui est évoquée, si c’est une arme, c’est le pouvoir, mais le plus souvent, c’est un objet purement symbolique (le Graal, par exemple) qui confère des forces ou de la sagesse. Dans bien des cas, la récompense n’est pas un objet, mais une transformation plus ou moins importante du héros (déification ou pouvoir d’une nature quelconque). Il n’est pas rare que la récompense soit trompeuse (coffre empli de sable ou autre objet sans la moindre valeur), afin de rappeler au héros qu’il ne doit pas se laisser abuser par les apparences (la vraie richesse n’est pas matérielle).

4. Le voyage de retour du héros n’est pas toujours de tout repos. Cette dernière série d’épreuves peut avoir pour objectif de compléter la leçon que l’épreuve principale a enseignée au héros. Dans les meilleures histoires, elle comporte une révélation qui jette une lumière absolument nouvelle sur la nature réelle de la récompense. C’est alors dans cette phase qu’à lieu la véritable métamorphose du héros, contrairement à ce que l’histoire laissait croire jusque-là. Cette phase s’achève par une renaissance symbolique du héros au monde réel (réveil, sortie de la grotte). À l’occasion de ce passage, il est fréquent que le héros soit contraint d’abandonner certains des attributs qui l’avaient protégé dans son périple. Cet abandon nécessaire renforce l’idée que le voyage était une forme de rêve ou d’hallucination et que le retour au réel implique une perte des illusions qui ont permis le voyage.

Rapporté aux trois étapes principales de la vie d’un homme (naissance, mariage, mort), le voyage initiatique raconte :

  1. Naissance : Le passage du fœtus dans le col de l’utérus.
  2. Mariage : L’initiation sexuelle du héros, son entrée dans le monde adulte.
  3. Mort : Le passage vers l’au-delà et la réincarnation.

Petite note sur l’histoire de Matrix : ce film parvient à innover en inversant le monde du rêve et celui de la réalité. Le parcours du héros débute dans une réalité virtuelle à laquelle il retourne à la fin de son périple. C’est le voyage dans le monde réel qui fait office de parcours initiatique.

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